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Peut-on faire fi de la confiance en entreprise ?

By 14 décembre 2021janvier 18th, 2022No Comments

Qu’est-ce qui fait qu’au sein d’une organisation une équipe fonctionne, qu’un collectif parvienne à avancer ? Qu’est-ce qui permet de faire « ensemble », de lier les individus entre eux ?

La question de la confiance se pose constamment au quotidien dans toutes nos relations interpersonnelles, que ce soit avec notre famille, nos amis ou notre conjoint. Cela inclut également les personnes que nous côtoyons sur notre lieu de travail : nous ne choisissons pas nécessairement nos collègues et pourtant, pour remplir nos missions, il nous est nécessaire d’avancer avec eux…

Cet article est le premier d’une série visant à décrypter la notion de “confiance” et ses applications au monde de l’entreprise. Pour débuter la réflexion, il convient de commencer par définir de quoi nous parlons : qu’entendons-nous par “confiance” ? Qu’est-ce que la confiance implique socialement et, par répercussion, quel est son impact dans le monde de l’entreprise ?

Une société sous le règne de la défiance ?

Il apparaît qu’une défiance générale soit de mise dans nos sociétés, et ce d’autant plus dans le contexte sanitaire anxiogène que nous traversons. L’édition 2021 du Baromètre de la fraternité a pu ainsi évaluer en France : « Une année complète restreinte par la pandémie mondiale n’aura pas amélioré la confiance que la population porte à « l’autre ». La méfiance à l’égard des autres a donc augmenté de 10 points par rapport à 2019, elle est de 72% aujourd’hui contre 62% en 2018. »

La crise de confiance envers les autres et les institutions que nous traversons ne manque pas d’interroger. Jamais dans l’histoire de l’humanité nous n’avons connu une telle interdépendance les uns les autres, jamais nous n’avons autant délégué aux autres des connaissances essentielles à notre survie (la production de nourriture, d’électricité, les soins médicaux…). Cette division du travail intellectuel est à la base même de la construction de nos sociétés, sans laquelle nous n’aurions jamais pu atteindre la qualité et le niveau de vie que nous avons aujourd’hui. Le sociologue Gérald Bronner parle de croyance par délégation pour désigner ce phénomène, permettant à nos sociétés démocratiques de s’organiser et de survivre. 

Pour penser les voies possibles dont nous disposons pour raviver cette confiance altérée, il convient de s’interroger sur le concept de confiance lui-même. 

La confiance, un saut dans le vide nécessaire à notre survie

Cette “crise de confiance” pourrait bien en réalité dépendre de la façon dont nous nous posons la question : l’économiste Eloi Laurent précise que le contraire de la confiance n’est ni la méfiance ou la défiance, mais l’absence de confiance. Aussi, nous pourrions tout à fait considérer qu’une société sans confiance est une société prudente

Alors, qu’est-ce que la confiance exactement ? Eloi Laurent définit la confiance comme étant une “espérance de fiabilité dans les conduites humaines”. Pour lui, l’existence de la confiance suppose plusieurs paramètres préalables : 

  • un rapport à un autre humain (éventuellement par la médiation d’une institution, comme l’Etat)
  • une situation de vulnérabilité dans laquelle nous nous trouvons
  • le fait de devoir faire un choix, et donc d’exercer notre raison
  • le contexte social dans lequel nous nous situons

La philosophe Gloria Origgi renchérit : “Nous donnons aux autres un certain pouvoir sur nous et, de la sorte, nous nous mettons vis-à-vis d’eux dans un état de vulnérabilité.” Faire confiance, c’est confier à quelqu’un quelque chose de précieux, s’abandonner à sa bienveillance. 

La confiance renvoie à quelque chose de fondamental, car elle permet l’existence des sociétés humaines, mais aussi à quelque chose de dangereux, car elle est un pari. L’existence de la confiance est directement liée à l’existence du risque et de l’incertitude : sans cela, il n’y aurait pas besoin de la mobiliser. 

Comment se manifeste la confiance en entreprise ?

Comme tout lieu où des relations humaines se jouent et où le risque est présent, la question de la confiance apparait ainsi comme un passage obligé dans le cadre de l’entreprise, aux applications et conséquences très concrètes. 

La confiance apparait d’autant plus difficile à accorder lorsque nous nous éloignons de notre cercle intime et que nous nous confrontons à l’autre dans des cadres complexes, où l’incertitude règne. Dans nos sondages, nous observons d’ailleurs que la relation de confiance avec les collègues les plus proches est également la plus forte en moyenne. 

La confiance en entreprise peut ainsi se manifester de plusieurs façons :

  • La confiance entre collègues : Puis-je compter sur mes collègues si j’ai besoin d’aide ? Puis-je également compter sur leur honnêteté et leur solidarité ? Partageons-nous des valeurs, une identité commune ?
  • La confiance envers sa hiérarchie : Ma hiérarchie est-elle à l’écoute ? Suis-je reconnu-e dans mon travail ? Me laisse-t-on de l’autonomie ? La vision proposée et les buts poursuivis me semblent-ils convaincants ? La stratégie adoptée me semble-t-elle en adéquation avec ce que j’expérimente au quotidien dans mes fonctions ? 

Se poser de telles questions permet de commencer à évaluer son positionnement et prendre du recul sur la culture de notre entreprise. De multiples situations génèrent de l’incertitude, des prises de risques, et peuvent mettre les individus en situation de vulnérabilité : l’absence de confiance peut alors sérieusement handicaper une collaboration. 

Cela peut se manifester par exemple par un alourdissement des process internes, via la multiplications de procédures de vérification et de surveillance des individus, qui engendrent des coûts supplémentaires directs pour l’organisation. 

Aussi, une organisation où la confiance règne suscitera d’autant plus de comportements généreux de la part des individus, qui seront d’autant plus enclins à faire preuve de solidarité envers les autres et à s’engager dans leurs fonctions. 

Une piste s’ouvre alors pour les managers : celle de cultiver une confiance et une coopération augmentée, permettant de mobiliser toute l’intelligence de leurs collaborateurs et collaboratrices en faveur du bon fonctionnement de l’organisation. 

 

À retenir :

Prise de risque indispensable à l’existence d’un groupe, la confiance est la clef de voûte des relations interpersonnelles. L’entreprise, en tant que construction humaine, n’échappe pas à la règle : la confiance sécurise et fédère, au service des objectifs poursuivis par le collectif.  

3 questions à se poser :

  • Comment selon vous s’exprime actuellement la confiance dans votre organisation ? 
  • Est-ce que vous avez envisagé les conséquences concrètes d’un manque de confiance ?
  • Que faites-vous à votre échelle pour instaurer et développer la confiance avec vos collaborateurs et collaboratrices ?

 

A lire :

Gloria Origgi, Qu’est-ce que la confiance ?, 2008

Michela Marzano, Eloge de la confiance, 2012

Yann Algan, Pierre Cahuc, André Zylberberg, La fabrique de la défiance, 2012

Eloi Laurent, L’économie de la confiance, 2019

Gérald Bronner, La démocratie des crédules, 2013

 

Un article par Marianne Mercier