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Cas 4 : Baromètre social et transmission d’entreprises

By 8 mars 2022No Comments

 

Introduction 

Une transmission d’entreprise est un moment délicat, pour les repreneurs comme pour les équipes en place. En pratique, rares sont les repreneurs qui prennent le temps de s’intéresser au facteur humain, au climat, à l’état d’esprit des équipes pour se faire une idée des forces humaines, mais aussi des faiblesses éventuelles et des « coûts cachés ». 

Plus rares encore sont ceux qui tentent de mesurer l’état du facteur humain. Les nouveaux dirigeants ont « la tête dans le guidon ». La prise en main d’une entreprise est un challenge important en terme de charge mental. Il y a énormément de choses de découvrir, à comprendre, de décisions difficiles à prendre.

Finalement, l’état d’esprit des équipes en place est découvert « par petits morceaux », de façon parcellaire. Le risque de surcharge cognitive est fort, et avec lui celui de prendre de très mauvaises décisions. Le cas que nous présentons aujourd’hui illustre ce point. 

 

De belles perspectives devant soi

En 2008, Jean reprit une entreprise industrielle d’une petite quarantaine de personnes située dans l’est de la France. L’entreprise était saine du point de vue financier. Et l’utilisation d’une nouvelle technologie lui ouvrait de belles perspectives de développement. Jean se sentait très confiant, optimiste. Il disposait d’une vision forte et pertinente qui suscitait chez lui un enthousiasme qu’il rêvait de partager avec les salariés.

Six ans plus tard, à l’occasion d’une crise, il quittait pourtant l’entreprise au bord du dépôt de bilan, bien qu’elle eut entre temps presque doublé son porte-feuille de clients, et son chiffre d’affaires. « Notre besoin en fond de roulement » était trop important et créa des tensions trop fortes au niveau financier. 

 

« J’ai découvert trop tard où je mettais les pieds. »

Rétrospectivement, Jean considère pourtant que l’une des principales causes de son échec réside dans le facteur humain. Comme il le souligne, «  J’ai su où je mettais les pieds par petits bouts, et trop tard ! » La culture managériale ancrée par l’ancien dirigeant était tyrannique. Le personnel des ateliers avait affublé l’ancien dirigeant du doux nom d' »Hitler ». Le management traité les opérateurs avec mépris. Cela pose le cadre. À la brutalité des relations managériales répondait celles des équipes des ateliers entre elles. Les cadres, principalement commerciaux, avaient quant à eux appris à se protéger en cultivant leur autonomie, fondée pour l’essentiel sur leur expertise et leur capital relationnel.

De son propre aveu, ce n’est qu’après de long mois que Jean découvrit la réalité des relations humaines. « Les commerciaux étaient plein de certitudes sur les besoins des clients, et ne prenaient pas la peine de les écouter. » Ils ne se rendaient pas compte qu’un fossé se creusait dangereusement entre l’entreprise et son marché. « Il y avait bcp de gens dans leurs murs. » 

Dans un tel contexte où la méfiance, voire l’hostilité règne, difficile de partager une vision nouvelle pour l’avenir de l’entreprise et de réunir tout le monde autour d’elle. « Je n’ai pas su expliquer, engager sur le projet de l’entreprise, avoue l’ex-dirigeant. » Il n’imaginait pas qu’un tel partage serait quasiment impossible.

 

Les atouts initiaux du repreneur fondent comme neige au soleil

Le sentiment d’appartenance était très bas, comme on peut s’en douter. C’est pourquoi lorsque notre homme accentua ses efforts pour partager sa vision auprès des équipes, et lorsque l’entreprise connut des difficultés, on assista à une augmentation forte du turn over en lieu et place de la mobilisation attendue. Pour maintenir l’effectif, nous avons recruter plus de cinquante personnes en moins de cinq ans. Avec la fuite des salariés, l’entreprise perdit une partie de son savoir faire, de son capital relationnel avec les fournisseurs et les clients. En somme, les atouts dont avaient hérité notre repreneur fondirent comme neige au soleil.

Jean comprit trop tard qu’il ne pouvait compter sur presque personne pour s’engager au service d’un projet commun dont tout le monde pourrait bénéficier. D’où son impression persistante de dépenser une énergie considérable pour tirer le navire à bout de bras. L’optimisme initial en fut consommé, laissant progressivement place à un sentiment lancinant d’impuissance et d’amertume. 

 

Nous savons pourtant que la connaissance du facteur humain est nécessaire pour réussir les changements

Au moment de la reprise la vision était bonne (ce que l’évolution du marché confirma). Les compétences étaient disponibles, les moyens financiers, les outils de productions, le porte-feuille de clients, les fournisseurs, constituaient des atouts sur le papier. Mais pourtant la mise en musique fut un échec. Dans cette histoire ce qui frappe le bon sens, c’est que rétrospectivement, tout semblait joué d’avance. « Le facteur humain a été déterminant dans l’échec. » 

Des sociologues des organisations comme Philippe Bernoux ou François Dupuy, après de très nombreuses années d’observation de la vie des entreprises, affirment que la première condition d’une transformation réussie est la connaissance du fonctionnement de l’entreprise. Or, selon eux, cette connaissance, fait le plus souvent défaut. Les échecs dans les projets de changements importants nous conduisent rétrospectivement à comprendre que le facteur humain a été déterminant. 

 

Comment notre outil de mesure du facteur humain aurait-il pu être utile ici ?

Dans la situation que nous rapportons l’existence d’enquête sur le facteur humain aurait pu lever le voile sur les tensions, sur l’inefficacité de la coopération, sur le pessimisme pour l’avenir de l’entreprise, l’absence d’intérêt pour le nouveau projet, ou un niveau de satisfaction relativement bas, entre autres choses. 

La leçon de cette histoire consiste-t-elle à soutenir qu’il faut utiliser les baromètres sociaux lorsqu’on décide de vendre son entreprise, ou lorsqu’on décide d’en acheter une. Non. Procéder à ce type d’enquête dans un contexte où les enjeux à courts termes d’une négociation de rachat, vis-à-vis d’un tiers seraient si forts qu’ils biaiseraient probablement les résultats. 

Cela étant dit, même des résultats biaisés seraient utiles pour comprendre plus rapidement que quelque chose cloche.

En revanche, un acheteur qui pourrait s’appuyer sur un solide historique de données analysées pour valoriser son entreprise serait en capacité de penser une stratégie rh en connaissant les forces et les faiblesse de son équipes. Avec un bon historique, il pourrait démontrer la capacité du groupe à endurer une crise, à affronter des changements importants, etc.  

Grâce aux possibilités de comparaison avec d’autres entreprises, il aurait pu identifier les leviers permettant d’intervenir sur l’état du facteur humain. La comparaison aurait permis de se faire un référentiel à l’aune duquel évaluer ce qui est normal ou pas, ce qui l’aurait aidé à définir des priorités dans le cadre de la conception d’un plan d’actions. De l’aveu de notre interlocuteur, de telles informations lui auraient été très utiles.

 

Conclusion 

En écoutant ce témoignage poignant, c’est le terme de gâchis qui vient à l’esprit. Il y a quelque temps, le président d’une association de repreneurs me dit que ces derniers étaient trop occupés pour s’intéresser de près au facteur humain lors d’une reprise. Je ne peux m’empêcher de penser que, comme le montre cet exemple, il s’agit là d’une erreur funeste. 

 

Références 

  • Philippe Bernoux, Sociologie du changement 
  • François Dupuy, La faillite de la pensée managériale 
  • François Dupuy, On ne change pas les entreprises par décret 
  • François Dupuy, Lost in management