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Introduction

Dans plusieurs articles, nous avons insisté sur l’importance de sonder les collaborateurs pour comprendre en quoi consiste l’expérience-employé et en tirer des nombreux éclairages sur l’engagement, la satisfaction, leurs déterminants, les tendances, les signaux faibles, etc. Mais une autre question se pose : quand sonder ?  Dans quelles situations peut-il être opportun de recourir à une enquête RH ? Ici, nous allons présenter sept raisons, sept occasions de sonder vos équipes, sans prétendre que la liste présentée épuise l’ensemble des bonnes raisons 🙂 Allez, c’est parti !

1.Après une période de transition organisationnelle

Après une fusion, une acquisition ou une réorganisation, il est important de recueillir les réactions des employés pour évaluer leur niveau de satisfaction, leur engagement et leur adaptation aux changements. D’ailleurs, à bien y réfléchir, ne devrait-on pas aussi sonder en amont pour mesurer les éventuelles craintes et identifier les opportunités, les forces vives sur lesquelles s’appuyer, les personnes vulnérables qu’il faut soutenir ? C’est ce que suggèrent certains entretiens faits avec des dirigeants ayant connu ce genre de situation.

Encore une fois, les recherches sur le changement organisationnel menées par des observateurs avisés du monde de l’entreprise (voir les travaux de Bernoux, La sociologie du changement, ou évidemment ceux de feus Michel Crozier et François Dupuy) montrent que le manque de connaissance du fonctionnement réel de l’entreprise est une des causes de l’échec des grands projets de changements. Investir dans la connaissance n’est donc pas inutile a priori !

2.Avant le lancement d’une nouvelle marque employeur ou projet d’entreprise

Avant de mettre en œuvre une nouvelle marque employeur ou une nouveau projet d’entreprise, il est judicieux de recueillir les opinions des employés pour s’assurer qu’ils comprennent les objectifs et les attentes, pour identifier les éventuels obstacles potentiels, valeurs réellement vécues au quotidien, comprendre les sources de l’engagement propres à votre entreprise.

S’assurer qu’un projet d’entreprise, ou une nouvelle marque employeur suscite une certaine adhésion, que les gens les comprennent et ont confiance dans l’équipe dirigeantes pour les incarner (importance de l’exemplarité et de la crédibilité) est tout à fait précieux, sans quoi votre projet d’entreprise ou votre nouvelle marque employeur risquent d’être des leviers qui ne lèvent rien ! Ce qui serait, convenez-en, un peu dommage après y avoir consacré de nombreux efforts 😉 

Et comme j’y ai insisté dans d’autres articles, le recours aux techniques modernes d’analyse de données RH et de machine learning peuvent aider. Les modèles peuvent aider à capter ce qui fait l’engagement ou la satisfaction au sein de votre entreprise, ce qui est essentiel pour définir la promesse que vous faîtes à vos futurs salariés. Les modèles de language quant à eux peuvent nous aider à faire ce que l’on appelle l’analyse de sentiments et d’opinions.

3. Lorsque le télétravail est très répandu

Le développement du télétravail pendant la pandémie a été accueilli par beaucoup de salariés (Ceux qui étaient concernés évidemment, qui ne sont pas majoritaires) comme une bonne nouvelle. Souplesse, et équilibre de vie sont positivement impactés par le télétravail. Toutefois, travailler à distance, via des réunions virtuelles contribue à appauvrir les relations d’équipes, et plus généralement les relations interpersonnelles. Au cours des trois dernières années, je n’ai pas rencontré une seule personne qui ne l’ait pas reconnu. Quand les salariés télétravaillent, cela peut induire des économies au niveau des charges pour l’entreprise, mais qu’en est le coût en terme de perte de solidarité, de confiance, d’engagement, de générosité envers les collègues ? Et quelle en est l’incidence sur le turnover, la productivité, etc. ? On ne mesure généralement pas ces coûts, pourtant, comme le bon sens le suggère, ils existent.

4.Pendant les évaluations de performance et la conception de plans de formation

Lors des évaluations annuelles ou semestrielles de performance, inclure des questions sur l’expérience employé peut fournir des informations précieuses sur la satisfaction au travail, les opportunités de croissance et les défis rencontrés par les employés. La réalisation d’un plan de formation est aussi l’occasion de sonder les salariés pour relever les besoins. Et si votre sondage inclut des questions qui permettent de mesurer la satisfaction, l’engagement, etc. il est même possible d’analyse les besoins de formation en les croisant avec ces indicateurs. 

5.En réponse à des problèmes de moral, de productivité, de qualité, etc.

Lorsque des problèmes de moral ou de productivité, de qualité sont détectés au sein de l’organisation, effectuer un sondage sur l’expérience employé peut aider à identifier les causes sous-jacentes et à élaborer des solutions pour les résoudre. Lorsque l’entreprise connaît un choc brutal, comme pendant la pandémie, parvenir à comprendre l’impact du choc sur les équipes est fondamental. Pendant, la pandémie, j’ai constaté que certains dirigeants, après des semaines de télétravail, ne savaient pas comment se sentaient leurs salariés. Il ne disposait d’aucune routine managériale de proximité visant à recueillir et comprendre l’effet du confinement et du télétravail sur leurs équipes, pas plus que d’enquête dématérialisée. 

6.Dans le cadre d’une analyse post-départ

Lorsqu’un employé quitte l’entreprise, mener un sondage de départ peut fournir des informations sur les raisons de son départ, les points forts et les faiblesses de l’organisation en matière de gestion des talents, et les possibilités d’amélioration. En fait, non, pas quand le salariés quitte l’entreprise ! Enfin, sauf si vous voulez vous en laisser conter. Car, de toute évidence, à moins que le salariés parte pour un autre emploi, il ne vous dira pas la vérité, de crainte qu’à l’avenir vous ne lui portiez grief auprès des recruteurs. En revanche, après quelques mois, il est probable que disposer d’un retour d’anciens salariés puisse être très précieux. Cela permettrait sans doute d’éviter que l’analyse de l’expérience employé ne soit touchée par le biais des survivants. 

7.À des intervalles réguliers pour suivre les tendances et développer un style managériale réellement pragmatique

Finalement, le lecteur l’aura compris. La réponse à la question posée dans l’article est : aussi souvent que possible !  En menant des sondages périodiques sur l’expérience employé, et au-delà, l’organisation peut suivre les tendances au fil du temps, identifier les domaines qui nécessitent une attention particulière, intervenir préventivement, comprendre clairement un problème qu’elle perçoit confusément, et évaluer l’impact des initiatives mises en œuvre pour améliorer l’expérience globale des employés. En recourant aux progrès de la recherche en sciences cognitives et de l’analyse de données, elle peut faire de bonnes habitudes de sondage une forme de management augmentée.

Dans le management de l’expérience employé, on ne peut se contenter de s’en tenir à des éléments purement tangibles et objectifs comme les processus d’inboarding, les jours de formation, les beaux bureaux, la salle de détente avec un magnifique babyfoot et la dernière playstation, les trois jours de télétravail, etc. Cela est tentant, car on évite ainsi de trop mettre les mains dans la complexité humaine, complexité qui fait peur ou pour la gestion de laquelle les équipes dirigeants ne sont pas formées aujourd’hui. Mais… dans une économie qui depuis quelques décennies fait de plus en plus la part belle à l’innovation comme facteur clé de succès, les entreprises sont de plus en plus dépendantes du facteur humain (Voir M.Crozier, L’entreprise à l’écoute). Il n’y a donc pas le choix. 

En faisant fi des vécus des salariés, c’est-à-dire de la dimension subjective de l’expérience employé, on se prive de la moitié de la réalité. Et on se retrouve avec des déceptions importantes. Il n’y a qu’à se rappeler les regards portés sur la mise en place de salles de bien dans les entreprises environ un an après la prise d’initiative. 

Une expérience dépend certes d’éléments objectifs et mais aussi de la façon dont les personnes pensent et ressentent ces éléments en fonction de leur personnalité, de leurs attentes, etc. Deux entreprises mettant en place les mêmes éléments objectifs dans le parcours des salariés pourraient exhiber des résultats en termes d’engagement, et donc de productivité, différents.

Car la culture, l’histoire, la confiance, l’ambition collective, etc. comptent énormément. Une entreprise n’est pas une machine, un simple mécanisme, pas plus d’ailleurs que les personnes qui y travaillent ! Or lorsque l’on fait fi de la part subjective de l’expérience employé, c’est ce qui est supposé implicitement. Un peu de recul et de réflexion fondée sur le bon sens suffisent à le comprendre. 

 

Conclusion

À lire cette liste, chacun pourra constater qu’il y a bien des raisons pour se mettre à l’écoute des équipes et comprendre l’expérience employé. Avec les outils d’IA, il est possible aujourd’hui de mobiliser l’intelligence collective comme jamais dans l’histoire des affaires.

Les projets d’envergure ont tous une durée relativement importante et exigent des actions d’ajustements, des tentatives, des expériences. Et ce pour une raison simple : lorsque vous voulez changer un système organisationnel, celui-ci réagit et des choses nouvelles et inatendues émergent. Comment savoir si les actions mises en oeuvre pour s’adapter et poursuivre le projet de transformation vont dans le bon sens ? Le plus souvent, il faut le dire, cela se fait plus ou moins au doigt mouillé, sans analyse de données, sans méthode expérimentale.

Pour développer une stratégie de changement informée et pragmatique, cueillir des données, se mettre à l’écoute des équipes ne saurait nuire, bien au contraire ; c’est la seule façon de ne pas agir en aveugle.

Ici, l’histoire des affaires est utile pour s’orienter et décider. En effet, si l’on se tourne vers le passé, que ce soit au moment de la seconde révolution industrielle ou même, plus proche de nous, dans les années 80 lorsque eut lieu le développement de l’informatique personnelle, dans chaque cas, les taux de mortalité des entreprises ont augmenté. Et celles qui ont tiré leur épingle du jeu furent celles qui réussirent à penser l’usage des nouvelles technologies non pas pour satisfaire des besoins anciens plus vite ou avec plus de fiabilité, mais pour inventer des usages nouveaux et repenser leur organisation.

Au début du vingtième siècle, les revues de management évoqué le manque de compétence des équipes dirigeantes en matière d’organisation scientifique du travail, de comptabilité (c’est pour répondre à cet enjeux que Mc Kinsey fut créé par exemple) et appelait à une montée en compétences, à des meilleures formation en école.

Aujourd’hui, dans une économie d’innovation, le facteur clé est l’humain. Bien que les sciences cognitives et l’intelligence artificielle nous permettent de les rationaliser en partie, on ne peut automatiser  les processus créatifs qui sont au fondement de l’innovation (serait-ce souhaitable d’ailleurs ?), on ne pas plus forcer l’écoute et l’empathie, la confiance, la générosité, l’engagement qui sont pourtant des conditions sine qua none de la coopération et de l’inventivité collective.

Tout ceci étant posé, il convient de finir avec une remarque. Même si au fond, tout ce qui est affirmé ici relève dans une certaine meure du bon sens, le fait est que les enquête RH régulière ne sont pas la règle. Et la raison est sans doute en grande partie liée aux réticences des équipes dirigeantes. Ces réticences ne sont pas sans raisons. Dans un prochain article, j’en évoquerais certaines que nous avons identifié au cours de nombreux entretiens.

 

Eric Lemaire